ECRITURE ET CULTURE

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SAINT NICOLAS CHEZ LES COQUETTES DU SEIGNEUR

 

A belle-maman dont j'ai le sentiment que de là haut elle a guidé ma plume…

 

 

La dérision populaire se plaisait à qualifier de «Coquettes du Seigneur » les sœurs d’une congrégation religieuse dont il me paraît charitable de taire ici le nom. (1)

Les soeurs portaient un habit monacal peu ordinaire, si bien coupé qu’on l'aurait cru sorti d’un atelier de haute couture. L’ordre des Coquettes avait su exploiter jusqu’à l’élégance les artifices développés par les milieux ecclésiastiques afin de masquer la féminité des épouses du Seigneur.

Le tissu gris généralisé dans les ordres pour sa neutralité revêtait chez les religieuses d’ici une nuance noble que rehaussait une chasuble alternant le bleu de leur ciel et la blancheur de leur âme. N’étaient leurs pieds chaussés d’élégants souliers noirs à talons hauts, les sœurs étaient les représentations vivantes des madones auréolées figurant sur les images pieuses qu’elles distribuaient aux petits enfants sages de l’école catholique.

Ces religieuses s’étaient forgé auprès des gens simples une réputation peu conforme au message évangélique qu’elles étaient censées répandre. Leur distance voire leur mépris à l'égard de l'ouvrier n'avait d'égales que leur prévenance voire leur adoration envers les riches bienfaiteurs de la paroisse. On se souvenait particulièrement de ce 6 décembre 194… qui rassemblait en la salle paroissiale tous les enfants du faubourg auxquels le Grand Saint Nicolas en personne venait rendre visite.

Avant de quitter la maison, Jeanne vérifia une ultime fois la tenue de son époux. C’était un costume qu’elle avait dessiné, coupé, puis cousu de ses propres mains. En ces années d’après-guerre, l’achat d’un vêtement de cette qualité était hors de la portée d’un salaire ouvrier et les petites coquetteries vestimentaires que la famille se permettait, venaient de l’agilité manuelle de l’épouse. Satisfaite d’elle et de lui, elle posa sur la joue de son mari un baiser furtif, mêlé d’amour et de joie, heureuse de cette petite sortie à l’occasion de la Saint-Nicolas.

Entraînée par sa gaîté, elle parcourut de ses mains expertes tout le corps de son fils, à l’affût de la moindre anomalie vestimentaire : ajuster le petit veston, relever un peu le pantalon, contrôler la fermeture des boutons, pour, commenta-t-elle avec malice, qu’ « il » ne s’envole pas, aplatir le col et recentrer la petite cravate. Elle utilisa même sa salive en guise de fixateur d’une mèche rebelle, provoquant le dégoût du gamin, déjà lassé par les baisers chauds et sonores qui ponctuaient chaque correction vestimentaire. Elle recula d’un pas. Satisfaite du résultat, elle réserva pour elle-même la féminité de ses deniers gestes.

La petite famille se mit joyeusement en route : l’enfant encadré de ses parents rayonnants marchait d’un pas allègre, un peu inquiet quand même à l’idée de rencontrer Saint Nicolas, qui n’avait pas la faveur des camarades syndiqués du papa.

Le soleil déjà se couchait, colorant l’horizon des feux de l’enfer….

L’astre du ciel d’hiver émettait une lumière chaude et rouge comme le ventre rond du poêle crapaud de la cuisine, lorsque le vent virant au Nord augmentait le tirage de la cheminée et activait les braises. La maman avait d’ailleurs profité de cette bonne chaleur pour enfourner tartes et gâteaux qu’on dégusterait au retour de la fête.

Le père trouvant l’analogie amusante montra du doigt à son fils le ciel en flammes et dit en regardant amoureusement son épouse : « c’est l’heure où Saint Nicolas cuit ses tartes… ». La maman sourit et savoura son bonheur…

Pour la circonstance, les sœurs avaient disposés deux rangées de chaises en arc de cercle. Au premier rang, bien en vue et bénéficiant de leur prévenance, les petits enfants tout proprets de l’école catholique, face à leurs parents qui leur souriaient et leur faisaient de petits signes amicaux. Au deuxième rang, dans l’ombre des précédents, la marmaille de l’école publique, qui malgré les interdis agacés des sœurs, cherchaient à manifester leur bonheur par des petits signes en direction de leurs parents relégués eux aussi au second rang, derrière le catholicisme des dames en chapeau et des messieurs en beau costume.

Saint Nicolas entra sous les applaudissements du public et les chants des enfants spontanément reconnaissants, exprimant à tue tête avec une même ferveur et à l’unisson, tout le bonheur que le grand Saint leur apportait dans sa hotte.

La hotte financée par la charité intéressée de l’industriel local.

La distribution de jouets s’arrêta au premier rang, à la grande déception des petites mains tendues de la deuxième rangée. Avec l’aplomb dont savent bien faire preuve les riches catholiques pris en défaut de charité chrétienne, on évoqua une malheureuse rupture de stock. Le Grand Saint, dont la prestation s’arrêtait là, fut reconduit avec empressement et autorité par la sœur économe qui, au moment de prendre congé, lui glissa discrètement l’enveloppe convenue.

Une distribution hâtive de caramels bon marché sortis des grandes poches que les soeurs cachent sous leurs amples vêtements, refoula sur le moment les sanglots des enfants délaissés.

Dans un silence résigné, les jeunes mâchoires du deuxième rang écrasaient les raisins de la colère sous leurs dents de lait. Ils en extrayaient lentement mais sûrement le moût dont leur adolescence prochaine soutirerait le vin aigre de leur rancœur.

La maman et le papa, profondément indignés par l’affront se levèrent avec dignité et firent signe à leur fils de les rejoindre. La famille écoeurée quitta la salle paroissiale, tout en saluant avec une froide politesse les bienfaiteurs et les bienfaitrices qui, trop occupés par leurs futilités mondaines, ne leur rendirent même pas le geste.

Dehors, les fourneaux célestes de Saint Nicolas étaient depuis longtemps éteints et avec eux beaucoup d’illusions. La petite famille dans un silence résigné rejoignait la maison sous le froid de la voûte étoilée.

Le papa prenant sa femme par l’épaule et serrant la main de son fils, lança gaiement : « hâtons-nous de rentrer à la maison : les tartes de Saint Nicolas doivent maintenant être cuites…. ».

Deux sourires illuminèrent sa nuit.

 

GUY RAU TOURNAI, le 6 décembre 2007

 

(1) des religieux et des laïcs, femmes et hommes, par leur grandeur d’âme, leur engagement et leurs prises de positions parfois aussi, ont donné et donnent encore un noble et admirable témoignage de leurs convictions, en opposition parfois avec l'Eglise, et le Pape lui-même. Les lignes qui précèdent ne les concernent pas. On ne peut pas être plus catholique que le Pape mais on peut être plus chrétien que lui...

 

Image extraite du site : merci-facteur.com

 



06/12/2011

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