ECRITURE ET CULTURE

ECRITURE ET CULTURE

LE SECRET DE LA PREMIERE CONFESSION

 

Troisième prix du concours de nouvelles 2010 organisé par les bibliothèques de Mouscron (Belgique) et de Wattrelos (France)

 

Les religieuses de l'école paroissiale avaient été appelées en renfort par Monsieur le Curé, débordé en cette fin de printemps 1952, tant les enfants étaient nombreux à faire leur première communion.

 

Dans l'ordre de mission,  figurait la préparation à la confession de l'enfance innocente, à l'issue de laquelle, pour la première fois,  le pécheur en culotte courte serait confié à l'intimité et au secret du confessionnal.

 

Le petit Pierre attend son tour, bien sage au côté de sa mère  plus à l'aise à l'usine qu'à l'église.  Ecrasé par l'architecture d'un sombre bâtiment qui ne lui est pas familier, il découvre, au fur et à mesure que ses yeux s'habituent à l'obscurité, surgissant des brumes bleues et des senteurs exotiques diffusées par  l'encens du dernier office…

 

Il a beau réfléchir, le petit Pierre, il ne se souvient pas avoir  ni regardé ni touché de vilaines choses. Les sœurs avaient pourtant bien dit que s'il oubliait le moindre péché caché dans les replis de son cœur coupable, l'âme resterait noire et qu'il serait en état de péché mortel.  « Ma Mère » avait pour illustrer le propos sorti de son cartable une feuille blanche et y  avait dessiné l'âme d'un trait de crayon bien maîtrisé.  Elle avait rempli rageusement l'espace censé représenter l'âme, qu'elle exhiba dégoulinant de noir au petit l'auditoire atterré. En guise de commentaire à l'illustration, « Ma Mère » annonça d'un ton tragique que si l'âme  venait à mourir à ce moment là, elle n'aurait pas accès au Ciel et souffrirait pour toujours en enfer.

 

L'enfer, les sœurs en avaient montré des images terrifiantes. Sœur Pauline,la Mère Supérieure, possédait sur le sujet une collection d'images à couper le souffle. A leur vue les petites mains  s'accrochaient à la longue robe blanche de Sœur Geneviève, qui de quelques baisers et de douces caresses tentait d'apaiser les frayeurs causées par les propos apocalyptiques dela Supérieure.

 

 

 

« Ce n'est pas possible », pense le petit Pierre, dans la logique déjà bien saine de sa petite tête : «les sœurs avaient affirmé qu'il y avait toujours quelque chose à confesser ». D'ailleurs, n'entend-il pas les chuchotements d'Albert le fils de l'organiste agenouillé depuis plus de dix minutes dans le confessionnal ?  'Il a dû en regarder et en toucher beaucoup, lui, de vilaines choses… »

 

La peur du péché mortel lentement envahit l'âme du petit Pierre qui se concentrant à nouveau, se met à la recherche des vilaines choses qu'il aurait pu commettre.

 

Son regard errant tombe sur le  tableau « la fuite en Egypte » suspendu au dessus du confessionnal. L'âne figuré sur la peinture ressemble étrangement à celui de son grand-père. Cette furtive vision évoquant  chez lui  le péché enfoui, conforme au non-dit des sœurs, il décide d'en faire le thème de sa première confession.

 

Libérant sa menotte de la main rassurante de sa mère il se précipite vaillamment vers le confessionnal, alors qu'Albert en ressort tout contrit, la tête renfrognée, conformément aux bonnes manières que se doit d'afficher un véritable pécheur repenti.

 

La maman est fière de son fils, libéré bien plus vite que le fils de l'organiste, signe indéniable que le petit Pierre est plus vertueux que lui.

 

Convaincue du caractère anodin des péchés avoués quelques minutes auparavant par son fils, la maman de Pierre tente timidement une question : « qu'as-tu dit à Monsieur le curé ? » demande-t-elle d'un ton bienveillant. En guise de réponse, le gamin baisse les yeux et presse le pas… La maman n'insiste guère et affiche un sourire complice qui rassure l'enfant. C'est que les sœurs avaient bien dit que c'était un secret que même Monsieur le Curé ne répéterait à personne. Mais quand même, ce secret ne pourrait-il pas le dire à sa maman ?  Pierre réfléchit à ce difficile cas de conscience lorsqu'ils arrivent, lui et sa maman,  à la maison.  En réalité, c'est la maison de  sa grand-mère, qui accueille provisoirement sa fille et son gendre. Le jeune couple et l'enfant y résident pour peu de temps mais selon les règles changeantes et arbitraires imposées par celle que le papa appelle irrévérencieusement « la vieille carcasse .

 

La question est directe et sans préambule : « qu'as-tu dit à Monsieur le Curé ? » lui demande-t-elle sur un ton qui n'autorise aucune esquive. L'enfant ne sachant que répondre lève les yeux vers sa mère qui comprenant le trouble de son fils prend le relais. « Il ne peut rien dire parce que c'est le  secret de la confession », dit-elle. « Il n'a pas de secret à avoir pour sa grand-mère » rétorque l'aïeule qui déjà hausse le ton et tape du pied. Pierre connaît les colères de sa grand-mère, aussi soudaines qu'inattendues, d'autant plus virulentes que la cause est anodine. Elles font taire tout le monde, même le papa qui dans ces cas extrêmes adopte une position de repli, connaissant par cœur l'ultime réplique de sa belle-mère quand elle est à court d'argument : « je suis ici chez moi ».

 

« Alors ? », insiste la grand-mère. Sachant toute résistance inutile, le petit Pierre croit se tirer d'affaire avec une généralité qui, faute de détails,  ne trahirait pas le secret entre Monsieur le Curé et lui : « j'ai dit à Monsieur le Curé que j'avais regardé et touché des vilaines choses ».

 

La grand-mère reçoit comme un coup de poing l'aveu de son petit fils. Suffoquée et délirante, elle crie sa rage et scande son indignation en répétant de sa voix éraillée : « Il a dit au curé qu'il avait regardé et touché de vilaines choses…. ». Regardant sa fille dont elle désapprouve le laxisme de l'éducation, elle l'accable de reproches : « que va penser le Curé ? », « on n'est pas des piliers d'église, mais on est propre », « tout le faubourg va bientôt le savoir »… « Et puis, c'est quoi ces vilaines choses qu'il a  regardées, hein ? ».

 

Nelly et Amandine, les tantes du petit Pierre en visite justement ce jour là viennent au secours de leur mère. L'inquisition en jupon se met en place. Elle ne s'embarrasse pas d'avocat et écarte la  maman du débat. Trois paires d'yeux  vont tenter de sonder les trames obscures de l'âme du petit homme accusé bien malgré lui des pires horreurs.

 

La grand-mère prend la parole la première et  commence par une torture douce : sa bouche édentée au sourire grimaçant susurre la  promesse d'un bonbon et d'un chocolat, si l'aveu est immédiat. Pas d'effet sur cette âme bien née qui résiste à la perfidie de cette tentation. La grand-mère ne se laisse pas désarçonner et poursuit avec le classique chantage de la suppression de dessert. « Pendant un mois » précise-t-elle. Pas d'aveu. « Deux mois », renchérit Nelly. Pas d'aveu. Amandine prend le relais et parle maintenant de suppression de dîner. Pas d'effet.  Agacée par cet échec elle pousse l'intimidation jusqu'à l'isolement à la cave, au pain sec et à l'eau, avec les souris et les rats. Rien ne fait. Devant la détermination du petit, la grand-mère et les deux tantes laissent échapper leur fureur et envisagent toutes trois

 



02/09/2011

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